Nous. Sommes. Chez. Nous.
Mon père est le seul de sa fratrie à ne pas avoir vu le jour en Espagne. Sa famille fuyant Franco, s’était réfugiée à Toulouse. Un Espingouin. Un métèque. Un « éstranger ». Un Français pourtant.
Nous sommes chez nous.
Moi, j’ai grandi sur un petit caillou perdu au milieu des flots. Là-bas, cohabitent des êtres originaires des quatre coins du globe. Leurs aïeux ont traversé les mers depuis l’Inde, l’Afrique, la Chine ou la France. Mais eux s’en contrefichent. Ils se disent créoles. Point. Certains ne croient pas en Dieu. D’autres en vénèrent une palanquée. Quelle importance ?
Nous sommes chez nous.
Je suis aujourd’hui devenu médecin de famille. Je tente d’apprivoiser les sanglots, la douleur et l’angoisse. La mort parfois. Que les plaintes résonnent en français, en arabe ou en mandarin, la peine se teinte de couleurs étrangement semblables. Quel humain demanderait ses papiers d’identité à cette mère terrifiée pour la santé de son enfant ?
Nous sommes chez nous.
Goumiers marocains de Monte Cassino, tirailleurs du Sénégal tombés pour le drapeau tricolore, 20 et 3 étrangers et nos frères pourtant. Missak Manouchian. Français de préférence.
Nous sommes chez nous.
Nous sommes tout cela. Cassoulet, couscous et paella. Grand cru, sangria, thé à la menthe. Pasteis de nata, chocolatine, corne de gazelle. Rap, fado et bal musette. Victor Hugo, Aimé Césaire, Aragon, Frantz Fanon. Tout à la fois. Et plus encore. Nous ne voulons pas choisir. Nos différences ont bâti la France. La belle. La rebelle. Nous ne la quitterons pas. Jamais.
Nous sommes chez nous.
Nous ne baisserons pas les yeux. Nous ne parlerons pas moins fort. Nous ne cuisinerons pas sans nos épices. Nous ne nous cacherons pas. Nous ne nous grimerons pas. Nous n’oublierons pas nos racines. Nous ne renierons pas nos pères. Nous n’abjurerons pas nos croyances. Nous ne nous amputerons pas.
Nous sommes chez nous.
Pour les racistes étriqués, les estropiés du cœur, les identitaires bas du front, les xénophobes incultes, les affabulateurs de la colonisation, les politiciens opportunistes, les rassemblés prétendument nationaux, les « reconquérants » à la petite semaine et les haineux du quotidien, nous ne gaspillerons pas notre colère. Notre mépris, peut-être. Un peu. Notre pitié plutôt. Nous leur réservons surtout un cri. Un slogan. Un leitmotiv. Une clameur. Un rugissement hilare. Un chant joyeux. Une rengaine euphorique.
Quatre mots.
Nous. Sommes. Chez. Nous.